Comment retitre-t-on un film américain pour sa sortie fr ?
Posté: 18 Aoû 2010 19:45
Traduit en français, même nom anglais ou... nouveau titre mais en anglais, les secrets du retitrage.
Sexy Dance 3D, Expendables: Unité spéciale, The Karate Kid, trois films américains qui sortent ce mercredi en France et qui s’appelaient Step Up 3D, The Expendables et... The Karate Kid lors de leur parution en salle aux Etats-Unis.
Quelques semaines plus tôt, c’était Date Night qui était transformé en Crazy Night, et Knight and Day («Chevalier et jour», Knight étant également le nom du héros) en Night and Day («Nuit et Jour»). En plus de ces titres en anglais réadaptés pour la France en anglais, on compte tous les films américains qui gardent leur titre original, et ceux–plus rares– dont les titres sont traduits en français, littéralement (The Last House on the Left devenu La dernière maison sur la gauche, ou Wall Street: Money never sleeps devenu Wall Street: l’argent ne dort jamais), ou avec plus ou moins de liberté (It’s complicated est Pas si simple chez nous, Role Models sorti sous le titre de Les Grand Frères).
Comment choisit-on les titres des films américains qui sortent en France? Pourquoi en traduire certains et pas d’autres, et retitrer les troisièmes... mais de nouveau en anglais
Chaque film étant traité comme un cas particulier, il n'existe pas de recette que les distributeurs appliquent à telle ou telle catégorie de films. Même si l'on peut dégager quelques grands principes, il y aura toujours des exceptions qui viendront confirmer les règles suivantes:
Le retitrage est un art qui se pratique au sein de toutes les boîtes de distribution cinématographique. Les employés se lancent dans un brainstorming plus ou moins informel (même si les distributeurs font parfois appel à des pigistes extérieurs, journalistes ou d’agences de pub, le plus gros des négociations se fait en interne). Les discussions peuvent durer de deux jours à plusieurs mois en fonction du film, avant que la décision finale ne revienne au directeur marketing et, le cas échéant, au directeur de la distribution.
Le circuit s’arrête là dans les entreprises indépendantes qui achètent leurs films étrangers, comme SND, qui envoie simplement son choix au distributeur américain pour le tenir au courant.
Mais le processus est un peu différent chez les filiales françaises des grosses majors américaines: chez Universal Pictures International France par exemple, une fois le nouveau titre approuvé en interne, il est envoyé au siège d’Universal Pictures International (avec, du coup, sa traduction littérale du français à l’anglais!) pour approbation finale.
Le siège peut envoyer des directives pour certains films, demandant par exemple de coller au titre original autant que possible sur requête des réalisateurs ou producteurs. Le pendant positif de cette contrainte occasionnelle étant que le siège peut aussi regrouper tous les titres choisis par les autres pays et les envoyer à la filiale française pour qu'elle s'en inspire.
Quand il y a doute ou désaccord entre le directeur marketing et le directeur de la distribution, SND procède à des tests. C’est ce qui s’est passé avec The Reader, par exemple. La logique aurait voulu de reprendre le titre du livre en France, Le Liseur, mais l’équipe craignait que ce titre trop «intello» ne traduise pas l’émotion et la tension dramatique du film. Un organisme de test a montré une affiche «The Reader» à 500 personnes et une affiche «Le Liseur» à 500 autres, et en a conclu que Le Liseur avait tendance à repousser, au contraire de The Reader.
Le titre fait partie de la stratégie marketing du film, comme l’affiche, la bande-annonce et la campagne publicitaire. Il faut déjà décider la cible à laquelle le produit est destiné (public jeune? âgé ? CSP+? Etudiants? Cinéphiles ou pas?), et du coup l’image qu’on veut en donner, puis son positionnement: un film se retrouve souvent à la frontière entre deux genres, veut-on le vendre comme une comédie? Un drame? Un film d’horreur ou d’action fantastique?
Funny People ou The invention of Lying étaient des sorties «techniques» pour Universal Pictures International France, des films sortis sur un très petit nombre de copies. Ne pas traduire le titre contribue à minimiser les coûts de sortie, d’autant plus que le public de Judd Appatow et Ricky Gervais (les réalisateurs des deux films) sont du genre à aller au cinéma en VO.
Même chose pour les films que le distributeur ne veut pas vraiment promouvoir. Il arrive que, pour acheter un film, un distributeur doive en acheter d’autres plus petits, ou bien qu’un distributeur achète un film sur un super scénario, qui se révèle raté une fois mis en images, auquel cas il ne cherchera pas à en faire une grosse sortie non plus. Pour ceux-là, donc, pas de grand brainstorming: on gardera le titre original.
Traduire un titre en français peut donc par pposition être une façon de lancer le film sur le marché «grand public», «populaire», d’autant plus que la plupart des copies de films étrangers sont en VF, la VO sous-titrée se limitant principalement à Paris et aux autres grosses villes.
Pour sa sortie française, l’équipe de SND a décidé de retitrer The Hurt Locker, grand vainqueur aux Oscars 2010, en Démineurs. Une partie intégrante de sa campagne marketing: les films sur l’Irak ne marchant pas très bien en France, l’équipe a aussi changé complètement son affiche et remonté sa bande-annonce. Tout pour le vendre comme un film de guerre spectaculaire, axé sur l’originalité du travail des démineurs par rapport aux soldats traditionnels.
Dans un tout autre style, l’équipe a transformé In Bruges en Bons baisers de Bruges: le titre original était compréhensible, mais il ne reflétait pas le côté décalé du film. D’où le «Bons baisers...» pour que le film se fasse davantage remarquer parmi les 15 sorties hebdomadaires.
Mais l’anglais peut devenir un atout de vente quand on s’adresse à un public adolescent. D’où Sexy Dance 3D (qui appartient en plus à la grande tradition des titres rendus plus «sex»), ou encore American Trip, le titre français de Get him to the Greek. «The Greek» faisant référence à un théâtre de Los Angeles, il n’évoquerait rien au public français. Retitrage donc, mais retitrage en anglais, avec «American», caution cool assurée, et «Trip», qui évoquera peut-être le succès qu’a été en 2009 Very Bad Trip?
Car les équipes de distribution n’hésitent pas à surfer sur le succès d’autres films de la même veine: en plus d’American Trip, on verra arriver en octobre Very Bad Cops, à la base The Other Guys. Quant à l’inspirateur Very Bad Trip, (titre original: The Hangover), le site Ecrans.fr estimait qu’il cherchait probablement lui-même à rappeler Very Bad Things, qui se déroulait lui aussi après un enterrement de vie de garçon à Las Vegas.
Le procédé peut parfois aller trop loin: SND avait commencé par renommer Band Slam High School Rock Stars pour profiter du phénomène High School Musical (Vanessa Hudgens, héroïne de HSM, joue dans Band Slam), avant de finalement craindre que ce soit considéré comme du parasitisme, et d’opter finalement pour College Rock Stars.
Le distributeur français peut aussi décider de garder le titre américain pour profiter du succès du film aux Etats-Unis: c’est ce qu’a fait Wild Bunch avec Paranormal Activity. La tranche d’âge visée pouvait à la fois comprendre le titre original sans problème et se souvenir de l’avoir lu dans la presse étrangère ou française après le succès surprise du film aux Etats-Unis, quelques semaines avant sa sortie française.
Six mois plus tard, The Fourth Kind sortait en France, renommé Phénomènes paranormaux. Soit un retitrage en français visant à rappeler le succès d’un film au titre américain laissé en l’état pour sa sortie dans l’Hexagone... la boucle est bouclée!
Lire l'article original sur Slate.fr
Sexy Dance 3D, Expendables: Unité spéciale, The Karate Kid, trois films américains qui sortent ce mercredi en France et qui s’appelaient Step Up 3D, The Expendables et... The Karate Kid lors de leur parution en salle aux Etats-Unis.
Quelques semaines plus tôt, c’était Date Night qui était transformé en Crazy Night, et Knight and Day («Chevalier et jour», Knight étant également le nom du héros) en Night and Day («Nuit et Jour»). En plus de ces titres en anglais réadaptés pour la France en anglais, on compte tous les films américains qui gardent leur titre original, et ceux–plus rares– dont les titres sont traduits en français, littéralement (The Last House on the Left devenu La dernière maison sur la gauche, ou Wall Street: Money never sleeps devenu Wall Street: l’argent ne dort jamais), ou avec plus ou moins de liberté (It’s complicated est Pas si simple chez nous, Role Models sorti sous le titre de Les Grand Frères).
Comment choisit-on les titres des films américains qui sortent en France? Pourquoi en traduire certains et pas d’autres, et retitrer les troisièmes... mais de nouveau en anglais
Chaque film étant traité comme un cas particulier, il n'existe pas de recette que les distributeurs appliquent à telle ou telle catégorie de films. Même si l'on peut dégager quelques grands principes, il y aura toujours des exceptions qui viendront confirmer les règles suivantes:
- on traduit les titres des films pour enfants (exception: Toy Story)
- on change ou on traduit les titres qui ne veulent rien dire pour des Français (exception: Repomen)
- on traduit ou on change si le titre en anglais est trop compliqué à prononcer et/ou à mémoriser (exception: Eternal Sunshine of the Spotless Mind)
- on garde le titre original des films de genre (exception: 30 jours de nuit pour 30 days of night)
- on garde le titre français du livre qui a inspiré une adaptation (exception: The Reader).
- Le circuit créatif
Le retitrage est un art qui se pratique au sein de toutes les boîtes de distribution cinématographique. Les employés se lancent dans un brainstorming plus ou moins informel (même si les distributeurs font parfois appel à des pigistes extérieurs, journalistes ou d’agences de pub, le plus gros des négociations se fait en interne). Les discussions peuvent durer de deux jours à plusieurs mois en fonction du film, avant que la décision finale ne revienne au directeur marketing et, le cas échéant, au directeur de la distribution.
Le circuit s’arrête là dans les entreprises indépendantes qui achètent leurs films étrangers, comme SND, qui envoie simplement son choix au distributeur américain pour le tenir au courant.
Mais le processus est un peu différent chez les filiales françaises des grosses majors américaines: chez Universal Pictures International France par exemple, une fois le nouveau titre approuvé en interne, il est envoyé au siège d’Universal Pictures International (avec, du coup, sa traduction littérale du français à l’anglais!) pour approbation finale.
Le siège peut envoyer des directives pour certains films, demandant par exemple de coller au titre original autant que possible sur requête des réalisateurs ou producteurs. Le pendant positif de cette contrainte occasionnelle étant que le siège peut aussi regrouper tous les titres choisis par les autres pays et les envoyer à la filiale française pour qu'elle s'en inspire.
- Un produit marketing comme un autre
Quand il y a doute ou désaccord entre le directeur marketing et le directeur de la distribution, SND procède à des tests. C’est ce qui s’est passé avec The Reader, par exemple. La logique aurait voulu de reprendre le titre du livre en France, Le Liseur, mais l’équipe craignait que ce titre trop «intello» ne traduise pas l’émotion et la tension dramatique du film. Un organisme de test a montré une affiche «The Reader» à 500 personnes et une affiche «Le Liseur» à 500 autres, et en a conclu que Le Liseur avait tendance à repousser, au contraire de The Reader.
Le titre fait partie de la stratégie marketing du film, comme l’affiche, la bande-annonce et la campagne publicitaire. Il faut déjà décider la cible à laquelle le produit est destiné (public jeune? âgé ? CSP+? Etudiants? Cinéphiles ou pas?), et du coup l’image qu’on veut en donner, puis son positionnement: un film se retrouve souvent à la frontière entre deux genres, veut-on le vendre comme une comédie? Un drame? Un film d’horreur ou d’action fantastique?
- De l’anglais pour les «petits» films...
Funny People ou The invention of Lying étaient des sorties «techniques» pour Universal Pictures International France, des films sortis sur un très petit nombre de copies. Ne pas traduire le titre contribue à minimiser les coûts de sortie, d’autant plus que le public de Judd Appatow et Ricky Gervais (les réalisateurs des deux films) sont du genre à aller au cinéma en VO.
Même chose pour les films que le distributeur ne veut pas vraiment promouvoir. Il arrive que, pour acheter un film, un distributeur doive en acheter d’autres plus petits, ou bien qu’un distributeur achète un film sur un super scénario, qui se révèle raté une fois mis en images, auquel cas il ne cherchera pas à en faire une grosse sortie non plus. Pour ceux-là, donc, pas de grand brainstorming: on gardera le titre original.
- ... Et du français pour le grand public...
Traduire un titre en français peut donc par pposition être une façon de lancer le film sur le marché «grand public», «populaire», d’autant plus que la plupart des copies de films étrangers sont en VF, la VO sous-titrée se limitant principalement à Paris et aux autres grosses villes.
Pour sa sortie française, l’équipe de SND a décidé de retitrer The Hurt Locker, grand vainqueur aux Oscars 2010, en Démineurs. Une partie intégrante de sa campagne marketing: les films sur l’Irak ne marchant pas très bien en France, l’équipe a aussi changé complètement son affiche et remonté sa bande-annonce. Tout pour le vendre comme un film de guerre spectaculaire, axé sur l’originalité du travail des démineurs par rapport aux soldats traditionnels.
Dans un tout autre style, l’équipe a transformé In Bruges en Bons baisers de Bruges: le titre original était compréhensible, mais il ne reflétait pas le côté décalé du film. D’où le «Bons baisers...» pour que le film se fasse davantage remarquer parmi les 15 sorties hebdomadaires.
- ... sauf pour les ados!
Mais l’anglais peut devenir un atout de vente quand on s’adresse à un public adolescent. D’où Sexy Dance 3D (qui appartient en plus à la grande tradition des titres rendus plus «sex»), ou encore American Trip, le titre français de Get him to the Greek. «The Greek» faisant référence à un théâtre de Los Angeles, il n’évoquerait rien au public français. Retitrage donc, mais retitrage en anglais, avec «American», caution cool assurée, et «Trip», qui évoquera peut-être le succès qu’a été en 2009 Very Bad Trip?
Car les équipes de distribution n’hésitent pas à surfer sur le succès d’autres films de la même veine: en plus d’American Trip, on verra arriver en octobre Very Bad Cops, à la base The Other Guys. Quant à l’inspirateur Very Bad Trip, (titre original: The Hangover), le site Ecrans.fr estimait qu’il cherchait probablement lui-même à rappeler Very Bad Things, qui se déroulait lui aussi après un enterrement de vie de garçon à Las Vegas.
Le procédé peut parfois aller trop loin: SND avait commencé par renommer Band Slam High School Rock Stars pour profiter du phénomène High School Musical (Vanessa Hudgens, héroïne de HSM, joue dans Band Slam), avant de finalement craindre que ce soit considéré comme du parasitisme, et d’opter finalement pour College Rock Stars.
Le distributeur français peut aussi décider de garder le titre américain pour profiter du succès du film aux Etats-Unis: c’est ce qu’a fait Wild Bunch avec Paranormal Activity. La tranche d’âge visée pouvait à la fois comprendre le titre original sans problème et se souvenir de l’avoir lu dans la presse étrangère ou française après le succès surprise du film aux Etats-Unis, quelques semaines avant sa sortie française.
Six mois plus tard, The Fourth Kind sortait en France, renommé Phénomènes paranormaux. Soit un retitrage en français visant à rappeler le succès d’un film au titre américain laissé en l’état pour sa sortie dans l’Hexagone... la boucle est bouclée!
Lire l'article original sur Slate.fr