Juste après Jean-Jacques GOLDMAN
Elle a éteint la lumière ?
Et puis qu'est-ce qu'elle a bien pu faire, juste après ?
Se balader, prendre l'air ?
Oublier le sang, l'éther
C'était la nuit ou le jour ?
Juste après
Deux, trois mots d'une prière ?
Ou plutôt rien et se taire
Comme un cadeau qu'on savoure
Qu'a-t-elle fait ?
Un alcool, un chocolat ?
Elle a bien un truc comme ça
Dans ces cas-là
Le registre, un formulaire
Son quotidien, l'ordinaire
Son univers
A-t-elle écrit une lettre ?
Fini un bouquin peut-être ?
Une cigarette ?
Qu'est-ce qu'on
Peut bien faire
Après ça ?
Elle y est surement retournée
Le regarder respirer
Puis s'est endormie
Comme dormait cet enfant
Si paisible en ignorant
Qu'on en pleurait jusqu'ici
Mais qu'est-ce qu'on peut bien faire
Après ça ?
"Je suis tombé sur cette émission de télévision par hasard, en pleine nuit. Il devait être quelque chose comme deux heures du matin. Ça s'appelait "les nouveaux Far West", ça se passait au Zaïre. A un moment on voyait une femme blanche dans un dispensaire de brousse, une soeur ou une infirmière assez âgée. Elle venait d'accoucher une femme. L'enfant ne respirait pas. Je regardais ça en zappant, entre deux clips. C'était incroyable, presque insupportable. Cela a duré quelques minutes, deux ou dix, je ne sais pas. Cette femme silencieuse, en train d'essayer de le ranimer. Pas un commentaire, rien, l'image brute. Elle qui le frappait, le secouait, le pendait par les pieds, le baignait d'eau froide, le giflait. C'était très violent.
Et puis l'enfant a cligné des yeux. Revenu à lui, vivant, ignorant la chance inouïe qu'il a eue de croiser le chemin de cette femme.
J'étais très ému, presque essoufflé. Je me suis demandé ce qu'on pouvait bien faire après ça. Même si c'est son quotidien, son boulot, comment peut-on redescendre sur terre après avoir redonné une vie qui n'existait plus ?"
[Cette nuit là, Goldman prend le premier morceau de papier qui traîne sur la table, le déchire en coin, y porte la date du 15 Janvier 1990 et écrit :]
"Qu'est-ce qu'elle a bien pu faire après avoir sauvé l'enfant du Zaïre ? Elle est allée dîner, a écrit une lettre, lu un bouquin, écouté une vieille cassette familière, attendu demain ? Ou alors elle a regardé la nuit, peut-être sans la voir. Il faut regarder loin pour regarder nulle part."
Jean-Jacques Goldman
Commentaire du livre "Rouge"
Philippe Mory : Lors du concert, il y a la projection d'images montrant une infirmière tentant de réanimer un nouveau-né, images qui ont inspiré Jean-Jacques pour la chanson "Juste après". Ne penses-tu pas que ces images peuvent choquer ?
Michael Jones : Je pense que si l'on ne projette pas le film, on ne peut pas comprendre la chanson. C'est vrai qu'il y a des scènes un peu violentes, mais c'est moins violent que des scènes d'atrocités au Rwanda ou en Bosnie et en plus il y a une fin positive puisque l'on réussit à faire vivre cet enfant. Mais il faut savoir que ça existe. Et il fallait montrer ce film, car c'est en voyant cette émission de télé que Jean-Jacques a écrit cette chanson.
"Tout le monde m'attend au tournant..."
Le Grain de Sel Edition n°6, juin 1996
Désormais indissociable des images. C'est devenu la bande son du clip, du film sur scène, la chanson du nouveau-né zaïrois.
Jean-Jacques Goldman
Livret de Pluriel
Yvan Le Bolloc’h : Alors le journalisme, ça peut être des critiques, mais ça peut être aussi de la télévision. Michel Honorin avait diffusé sur Antenne 2, à l’époque en 1990, un sujet sur le Zaïre. Et ce sujet vous a donc donné l’idée d’une chanson qui s’appelle "Juste après". Nous nous sommes permis d’y associer votre musique et voilà ce que ça donne :
[Diffusion des célèbres images reprises dans le clip et lors de la tournée "Rouge". Retour dans la Chevrolet]
Yvan Le Bolloc’h : Voilà ! Ça le fait !
Bruno Solo : Ça allume le visage, en tout cas. Ces dernières images allument obligatoirement un sourire et c’est ça qui… [Gros plan sur Jean-Jacques Goldman qui affiche un sourire radieux]
Yvan Le Bolloc’h : Donc, il faut savoir que le gamin va s’en sortir finalement et c’est quand même ça le plus important de l’histoire. Dans quelles conditions vous êtes tombé là-dessus, Jean-Jacques ?
Jean-Jacques Goldman : Un soir, tu rentres de studio, n’importe quoi. Tu te fous devant la télé, tu zappes et puis tout à coup tu es happé par ces images. Tu te dis : "Mais c’est pas possible !". Ces images tellement violentes, tu te dis : "Mais il y a une espèce de complaisance, comme ça, à montrer ça. Qu’ils le jettent à la poubelle et puis qu’on n'en parle plus !". Et tout à coup, tu vois ce môme, là, qui ouvre les yeux. "Mais attends, qu’est-ce qu’elle fait après ça ? Elle va boire un coup, je sais pas ?".
Yvan Le Bolloc’h : Donc, vous avez choisi de raconter l’histoire de la femme, plutôt que celle de l’homme. Pourquoi ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne sais pas, c’est elle qui lui tape sur les fesses. On sent que c’est elle qui… C’est un truc de femme, là. Viscéralement, elle ne veut pas le laisser partir. Alors lui, il est là, il constate que le cœur bat encore et tout ça. Mais le boulot, c’est elle qui le fait. Bon, je sais pas. Puis je me suis dit qu’elle faisait ça tous les jours. Que voilà, c’est son quotidien. Un jour elle en sauve un, un jour elle n’y arrive pas ! Et puis elle boit son café et puis elle recommence le lendemain. C’est incroyable !
Le plein de Super
Canal +, 1994
François-Xavier Menou : Pendant le spectacle, tu rends hommage à Carole Fredericks. Pardon si la question est un peu impudique, mais comment vis-tu ce moment-là du concert ?
Jean-Jacques Goldman : Non, c'est une bonne question ! Parce que ça a changé : au début, c'était un peu douloureux, mais en même temps, une absolue nécessité. Il n'était pas question de ne pas la citer pendant ce spectacle, où il y a des chansons qui sont aussi à elle. Et maintenant c'est un réel plaisir. Chaque soir à un moment donné, on entend sa voix, on voit son visage et moi je suis super content, maintenant, d'avoir ce rendez-vous régulier avec elle.
Jean-Jacques Goldman : Le faiseur de chanson
Côte Basque Magazine, le 10 juillet 2002
J'ai vu le clip pour la première fois, un soir vers 0 h 30 - 1 h 00, je suis tombé dessus par hasard... et je suis resté devant en "gobant les mouches", moins impressionné par les images que je voyais que par la densité dramatique de leur contenu...
Je me suis même dit : "mais pourquoi ils ont mis du Goldman "?
C'est au bout de quelques dizaines de secondes que je me suis rendu compte que les paroles collaient aux images.
Il est vrai qu'une fois que l'on a vu le clip, il est difficile d'écouter la chanson sans repenser aux images.
Yves Bernard
Là-Bas, 10 juin 1996
http://www.parler-de-sa-vie.net/index2.html