Piratage : le combat d’Uptobox pour récupérer ses serveurs
Le 20 septembre 2023 restera une date funeste pour bien des habitués du piratage en ligne. Ce jour-là, Amazon, Apple, Columbia, Disney, Studiocanal, Netflix, Paramount, Universal et la Warner ont lancé une vaste saisie-contrefaçon chez Uptobox, le célèbre service de stockage utilisé par de nombreux sites pirates pour partager des films et des séries. Orchestrée par des huissiers, des experts et les forces de l’ordre, l’opération a permis de mettre la main sur ses 16 baies de serveurs hébergées dans des data centers en France chez OPCORE (autrefois Scaleway) et OVH. Un raid salué par toute l’industrie à l’échelle internationale, Uptobox et sa cousine Uptostream totalisant plus de 1,5 milliard de visites en trois ans. Sur le terrain judiciaire, le dossier est encore loin d’être bouclé au fond mais Uptobox, qui n’avait pas été averti de cette procédure, a décidé de se défendre : « Notre position est de tout faire pour récupérer ces serveurs et de permettre à nos utilisateurs de récupérer leurs données, et de manière plus optimiste de reprendre notre activité », a annoncé l’entreprise sur X (ex-Twitter) . Genius Servers Tech Fze, société basée à Dubaï qui se présente comme propriétaire de cet hébergeur, a déposé un recours dès octobre 2023 pour obtenir la levée de cette mesure. Une première audience s’est tenue au tribunal judiciaire de Paris il y a quelques jours. L’Informé était présent. Compte rendu.
« C’est la première fois que l’exploitant du service Uptobox/Uptostream, la société Genius Servers Tech Fze peut présenter ses arguments. La puissance des entreprises en face ne doit pas laisser des apparences trompeuses vaincre ! » D’entrée, Me Thomas Chalanset, avocat du cyberlocker, s’est montré très critique sur les rouages de cette saisie non contradictoire. « Le service risque d’être asphyxié par les coûts des serveurs et le temps de la procédure quand bien même Genius sortirait indemne en termes de condamnation. » Ses coûts d’hébergement seraient d’environ 75 000 euros par mois selon les éléments donnés au tribunal. En attendant, la facture s’envole : l’indisponibilité des serveurs depuis sept longs mois risque de s’étendre sur plusieurs années puisqu’une procédure pénale pour contrefaçon, actuellement entre les mains du procureur de la République, a été initiée en parallèle par plusieurs demandeurs déjà à la manœuvre. L’exploitation des données saisies permettra à terme de jauger plus précisément le préjudice.
Genius souhaite pour sa part retrouver au plus vite son matériel : pour convaincre la magistrate en charge du dossier, la société a vanté le versant légal de son service en ligne. Dans les ordonnances initiales de saisie-contrefaçon, qu’a pu consulter l’Informé, les grands noms du cinéma et de l’audiovisuel avaient justifié ces mesures par l’inscription de ce cyberlocker sur deux listes noires des sites pirates. D’une part, celle dressée par la Commission européenne. « Effectivement, concède la défense de Genius, la liste épingle Uptobox, mais elle ne contient aucune conclusion quant à l’existence d’une violation de la loi et se limite à relayer les allégations des ayants droit alors que ma cliente n’a jamais été contactée par la Commission ». D’autre part, celle de l’Arcom d’avril 2023 et contre laquelle la société, qui jure n’avoir jamais reçu ses alertes adressées par courrier, a lancé une procédure de retrait. Les industries culturelles avaient également mis en avant deux jugements de blocage du nom de domaine d’Uptobox rendus en 2023 en l’absence de la société basée à Dubaï. Celle-ci a lancé une nouvelle procédure pour lever ces restrictions.
« Uptobox est un service de stockage, c’est un hébergeur qui a l’obligation de retirer les contenus qu’on lui notifie », a encore insisté son avocat. Ce service ressemblerait donc à un Google Drive ou un Dropbox. « Ce n’est pas le YouTube du piratage ! ». Genius ne nie pas avoir eu connaissance que certains habitués utilisaient son service à des fins de contrefaçon mais ces usages ne seraient que très minoritaires, affirmant que les fichiers les plus partagés généraient, non un avantage monétaire, mais l’accumulation de points Premium permettant de bénéficier d’un abonnement d’une valeur de 5 euros par mois. Au chevet de cette présentation, la société dubaïote a aussi produit deux rapports rédigés l’un par In Code We Trust, une société de conseil, l’autre par Hubert Bitant, expert judiciaire près de la cour d’appel de Paris. Leur analyse « démontre que l’immense majorité des fichiers hébergés sur Uptobox ne sont pas téléchargés ou visionnés ». En substance, 73,5 % des fichiers hébergés n’auraient fait l’objet d’aucun téléchargement, quand les ayants droit estiment que 84 % des fichiers seraient contrefaisants. Me Chalanset conteste leur méthode statistique « développée pour les sites d’indexation comme Allostreaming ». En clair, les chiffres des industries culturelles seraient biaisés puisqu’établis à partir de liens menant vers Uptobox glanés sur des sites pirates. « Vous êtes sur un site contrefaisant (tels que Allostreaming ou Wawacity) forcément de manière disproportionnée, les liens Uptobox qui pourraient s’y trouver vont l’être tout autant, or tous les liens uptobox ne sont pas publics ! » Dit autrement, il y aurait dans ces serveurs d’autres fichiers totalement licites, comme des photos personnelles, mais passant sous les radars puisque non partagées publiquement.
Sans surprise, Me Richard Willemant, avocat au cabinet Feral qui représente Amazon, Apple, Columbia, Disney, Netflix, Paramount, Universal et la Warner, n’a pas été convaincu par cet état des lieux. Passé l’énumération des nombreux vices de procédures, liés notamment à des dépassements de délai, la défense des industries du cinéma et de l’audiovisuel a d’abord mis en doute le nom du véritable propriétaire d’Uptobox. Le service aurait été exploité successivement par Upto Network, en France, puis Uptobox Limited, une autre structure installée aux Seychelles, ensuite UpWorld Genius, basée à Panama et enfin depuis 2019 Genius Servers Tech Fze à Dubaï. Seulement, « le prix des services d’hébergement est réglé par n’importe qui dans le dossier, toutes les factures sont au nom de la Seychelloise, mais parfois c’est un certain Guillaume Merlin (déposant de la marque uptobox en 2012, ndlr) qui paye, parfois c’est Genius. On ne peut même pas se référer aux preuves habituelles en matière d’actes d’exploitation ! ». Me Yves Coursin, qui représente Scaleway et OPCORE, a de son côté révélé que ses clientes ne connaissaient qu’Uptobox Limited, pas Genius. Les ayants droit ont mis en cause l’existence même de Genius, ce qui entraînerait automatiquement la nullité de l’assignation. Genius a nié n’être qu’une coquille vide, en produisant une licence commerciale publiée à Dubaï et datant de mars 2024.
Me Elvina Mathieu, collaboratrice au sein du même cabinet, a contesté pour sa part les expertises de Genius, compte tenu de l’absence de production des données ayant servi à leur rédaction. Cette lacune « ne nous permet pas de débattre de ces éléments de preuves incomplets ». L’avocate a également combattu la comparaison avec Dropbox ou Google Drive. « Leur modèle économique repose sur la commercialisation d’espace de stockage. Sur Uptobox, c’est différent. Il propose des abonnements premium avec 18 fonctionnalités dont une seule est relative aux espaces de stockage. Toutes les autres visent à débrider l’accès, le téléchargement et le visionnage de fichiers hébergés, par exemple pour faire sauter la limite de temps d’attente entre deux téléchargements ou pour le visionnage de fichiers. On n’imagine pas Google nous dire : « vous avez téléchargé une photo, revenez dans 2 heures ! ». » Parmi les fonctionnalités d’Uptobox, l’une a fait tout particulièrement tiquer l’industrie du cinéma : celle permettant à un utilisateur de remettre automatiquement en ligne un fichier effacé suite à l’un de ses signalements. « Un agent assermenté de l’association de lutte contre la piraterie audiovisuelle avait fait le test de faire supprimer 68 fichiers contrefaisants. Dans les deux heures, la moitié était remise en ligne. » Selon les avocats des studios, le modèle économique de ce service de stockage serait surtout le partage des contenus contrefaisants. Pour s’en convaincre, ils ont relevé que Genius ne produisait aucun registre des utilisateurs sanctionnés (ou suspendus). De même, si le propriétaire déclaré d’Uptobox a officiellement mis des mesures pour empêcher l’indexation des fichiers par les robots de Google, l’industrie a rappelé les 10 millions de demandes de déréférencement qu’elle aurait envoyées au moteur depuis 2013. Pour le monde du cinéma, la saisie doit donc être maintenue, la mesure étant à la fois nécessaire et proportionnée au regard du risque de dépérissement des preuves. Une menace qui serait bien réelle : le 20 septembre vers 11h30, son matériel chez ScaleWay-OPCORE a été débranché. Dans l’heure de la publication de l’article de l’Informé révélant cette action (à 13h01), des services chez OVH ont été réinitialisés. « Si ce n’est pas la preuve d’une intention de dissimuler les traces de la contrefaçon ! » La justice rendra sa décision dans deux mois.
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