Finalement votée par le Parlement, la loi Création et Internet n’a pas fini de faire parler d’elle. Si elle est susceptible de mettre la France en porte-à-faux avec la législation européenne, elle risque aussi de se montrer inapplicable dans les faits.Elle s’appelle Hadopi et en tant que Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet elle fait déjà trembler de nombreux internautes. Que veut-elle ? Simplement surveiller ces derniers pour identifier ceux coupables de téléchargements illégaux. Votée le 12 mai par l’Assemblée, la loi Création et Internet prévoie de punir les récidivistes continuant à télécharger illégalement après un premier avertissement en coupant leur accès Internet.
Si cette loi ne semble pas convaincre les élus français - rejetée une première fois par le Parlement français, elle a finalement été adoptée par 296 voix contre 233 voix - elle n’enthousiasme pas non plus les institutions européennes.
Envers et contre tousEn novembre, la Commission européenne soulève le problème de confier à un organe administratif (la Haute autorité), et non judiciaire, le « pouvoir de décider s’il y aurait violation ou non d’un droit d’auteur ou droit voisin ». « Comment, pour l’abonné victime d’une erreur, faire valoir sa position à défaut de voie de recours contradictoire ? » fait remarquer la Commission aux autorités françaises. Les experts d’Internet sont unanimes : impossibilité de sécuriser correctement l’accès de l’usager, difficulté pour identifier les prétendus pirates ou risque d’erreur dans la reconnaissance des fichiers téléchargées, rendent les possibilités d’erreurs multiples et le risque de punir des innocents loin d’être faible. La loi Création et Internet ne prévoit malheureusement pas non plus de recours pour contester les décisions de la Hadopi avant que la sanction ne s’applique.
La Haute autorité au dessus des jugesLe Parlement européen émet aussi des réserves. En Février 2009-05-15, il vote le rapport Lambrinidis (1) qui promulgue l’accès Internet au rang de droit fondamental. Dans ce cas, seule une autorité judiciaire peut décider de sa suspension. Si pour Christine Albanel, ce rapport n’a « aucune valeur juridique », il n’en est pas de même pour l’amendement 138 déposé par l’euro-député socialiste Guy Bono. Venant s’ajouter au « Paquet telecom », une série de mesures visant à actualiser les règles relatives au marché communautaire des télécommunications datant de 2002, ce texte précise qu’« aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire » (2). Voté en septembre 2008 par 88 % des députés, ce texte rejeté fin novembre par le Conseil de l’Europe présidé par la France. Rebaptisé amendement 46, il est revoté par le Parlement le 6 mai 2009 et validé avec 404 voix « pour » et 57 « contre ».
La France bientôt en infraction ?Guy Bono dénonce l’éloignement du Conseil des ministres européen avec le peuple, « qui privilégie les petits arrangements entre amis pour favoriser les intérêts de certains au détriment de l’intérêt général ». Le député n’hésite pas à parler de « déni de démocratie » en soulignant les moyens mis en œuvre par la Présidence française pour obtenir la suppression de l’amendement. Les cartes sont maintenant entre les mains du Conseil qui devra soit accepter l’amendement, soit le refuser en rejetant l’ensemble du « Paquet Télécom ». En rejet ferait prendre encore du retard l’ensemble de la révision des règles relatives au marché communautaire des télécommunications datant de 2002. Sur le terrain français, le combat continu pour l’euro-député qui menace « de saisir la Cour de Justice des Communautés européennes afin qu’elle lance une procédure d’infraction contre le gouvernement français pour non respect du droit communautaire ».
Un intérêt discutable et discutéLes téléchargements illégaux sur Internet représentent-ils de tels enjeux qu’ils méritent cette politique « au forceps » ? Pour le Syndicat National de l’édition phonographique ces pratiques seraient responsables de la destruction de « près de 50 % (500 millions d’euros) de la valeur du marché de la musique en France » (3) ces cinq dernières années. Si certains artistes soutiennent cette vision de marché et la loi Création et Internet, d’autres soulignent que la circulation des œuvres sur Internet permet de faire connaître sa musique et d’élargir son public. Pour Gari Greu, de Massilia Sound System, le téléchargement « nous amène beaucoup plus de monde aux concerts », activité qui rapporte nettement plus aux musiciens que la vente d’albums. Copies gratuites largement distribuées pour promouvoir le spectacle vivant contre éditions à prix élevés et forcément plus confidentielles qui rendent les artistes moins visibles, le monde de la musique est devant un choix de modèle… non seulement économique, mais aussi artistique !
Vivons cachéEn outre, la loi Création et Internet pose de nombreux problèmes de mise en œuvre. Comment identifier un « pirate » ? La seule façon aujourd’hui consiste à relever son adresse IP (l’adresse unique associée à chaque utilisateur sur Internet) et de s’assurer que les fichiers qu’il télécharge constituent bien une œuvre protégée. Or, pour reconnaître automatiquement une telle oeuvre, la Hadopi doit identifier et étiqueter l’ensemble des fichiers présents sur les réseaux d’échange. Cette tâche, qui prendrait plusieurs années, est finalement vouée à l’échec puisque les fichiers diffusés évoluent à chaque instant.
Pour reconnaître l’internaute, le fournisseur d’accès devra donner l’identité du client à partir de son adresse IP relevée par la Hadopi. Or, les outils pour crypter ou camoufler une telle adresse se généralisent. Tous les nouveaux logiciels pour naviguer sur ces réseaux d’échange proposent ces modules pour garantir son anonymat. Certains groupes, comme The pirates bay, ont aussi menacé d’injecter de fausses adresses dans les réseaux d’échange. Non seulement ces leurres vont embourber les agents de la Haute autorité dans un flux d’adresses erronées, mais ils risquent aussi de la noyer sous les réclamations d’internautes accusés par erreur. Parce que, cette « adresse fictive » est peut être la vôtre ?
Pour Frédéric Aidouni, auteur du logiciel LogP2P utilisé par les services de police de plusieurs pays pour détecter les échanges de contenus pédophiles, cette stratégie de la surveillance et de la répression risque de déboucher sur une course aux techniques d’anonymat. « Il va y avoir des contre-mesures jusqu’au moment où n’importe quel utilisateur de système d’échange de fichiers pair-à-pair sera anonyme. Les diffuseurs de vidéos de viols de bébés seront désormais sereins, et qui sait, peut-être cet anonymat permettra-t-il à des réalisateurs en herbe de laisser libre court à leur envie de ‘films maison’. Merci l’Hadopi » (4).
Hadopi la passoireLes inventeurs de la loi Création et Internet ont cependant bien compris qu’un accès Internet ou une adresse IP peuvent être usurpés. La loi ne punit donc pas le téléchargement illégal, mais le manque de protection de son accès Internet. Si l’abonné prouve que son ordinateur dispose bien des protections adéquates, alors il n’est pas responsable. Mais qu’est-ce qu’une « protection adéquate » quand la clé « wep » d’un accès wifi classique se décode en quelques minutes ou qu’une adresse IP (la vôtre ?) peut être usurpée par n’importe quel hacker un peu inventif ? Non, l’internaute moyen ne peut raisonnablement rien sécuriser. Pour montrer patte blanche, il ne lui reste qu’à installer un logiciel retransmettant directement à la Haute autorité toute activité de téléchargement illicite. Quel logiciel ? Avec quels environnements est-il compatible (Mac, PC, Windows, Linux, Solaris…) ? Sur quelle machine faut-il l’installer ? Autant de questions auxquelles la loi ne donne pas de réponses. En imaginant un tel mouchard installé sur la machine familiale de M. X, comment empêcher M. X d’utiliser son portable professionnel pour se connecter par wifi à sa « TrucBox » et télécharger ce qui lui plait ? Son « mouchard Hadopi », bien au chaud sur son ordinateur de salon ne voit rien de ce qui se passe à l’extérieur. M. X n’a rien téléchargé d’illégal… Ses enfants, qui se connectent aussi avec leurs portables sur l’accès familial, n’ont pas non plus de « mouchards Hadopi » sur leurs machines et ne manquent pas de récupérer tout ce qu’ils peuvent sur les réseaux d’échange… L’ordinateur de salon de M. X ne télécharge pourtant jamais rien d’illégal…
Les imprécisions et l’absence d’analyse technique quant à la mise ne oeuvre concrète de cette loi illustrent le manque de culture du législateur en matière de technologies de l’information. La répression suffira t-elle à changer une cyber-culture en construction depuis 20 ans ? Que se passera-t-il quand, demain, non seulement ordinateurs, téléphones, lecteurs de vidéos et de musique ou télévisions communiqueront via Internet, mais aussi tous les objets de la vie quotidienne, du réfrigérateur à la centrale thermique de la maison ? Que faut-il alors « sécuriser » et où placer ces surveillants de la Hadopi quand deux chercheurs de l’Université de Washington n’ont aucun mal à faire accuser une imprimante de téléchargement illégal (5) ?
Si cette loi a pour objectif de conforter l’industrie du divertissement dans un business model archaïque, elle répond sans doute au besoin. Mais, comme le signale un rapport commandité par le Ministère de la culture des Pays-Bas (6), le durcissement des lois sur le téléchargement n’aura que des effets à court terme, un point de non retour ayant été atteint. Pour ses auteurs, l’industrie culturelle se trouve dans l’impossibilité d’inverser le courant et la nécessité d’innover et de reconstruire de nouveau modèles économiques.
Source : http://www.vivagora.org/spip.php?articl ... te=2009-06
Cinéma: Lieu dangereux en raison des risques de projections de navets.