Selon nos informations exclusives, une société allemande éditrice de films pornos, MagmaFilm GmbH, a obtenu en justice une ordonnance enjoignant plusieurs fournisseurs d’accès Français de communiquer sous 72 heures, les données d’identification de plusieurs centaines d’abonnés, des milliers peut-être.
La décision a été rendue par le Tribunal de grande instance de Paris statuant en référé qui a fait droit à cette demande. Free, Neuf Cegetel, Telecom Italia, Orange, Numéricable ou Télé2 mobile (!!) sont expressément visés. Toute récente, l’ordonnance date du 15 septembre 2008.
Aspect piquant de cette procédure, l’éditeur allemand a suivi le même mode opératoire que pour l’affaire Techland, sauf qu’alors il s’agissait d’échange du jeu Call of Juarez et que l’affaire a depuis été sanctionnée – on le sait – pour défaut d’autorisation de la CNIL.
BlackWindow sur les réseaux P2P
MagmaFilm a fait appel aux bons services de la société suisse Copy Right Solutions, un spécialiste du repérage, afin d’identifier les adresses IP des personnes échangeant ses contenus a priori illégalement sur les réseaux P2P. Copy Right Solutions utilise un logiciel de veille nommé BlackWindows.
Ce logiciel, qui a été utilisé sous contrôle d’un huissier parisien en juin 2008, a consigné des kilomètres d’adresses IP d’internautes situés sur le simple territoire français, fichés par cette solution suisse. En ces temps où les actions de masse sont légions, le logiciel a répertorié docilement les données personnelles de ces personnes, avec les dates et heures de téléchargements, les noms des fichiers (à faire tressaillir Nadine Morano), et les noms des FAI concernés.
Dès lors, MagmaFilm a lancé une procédure sur requête devant plusieurs FAI français en suivant l’article 145 du nouveau Code de procédure civil. Celui-ci permet d'organiser des mesures d’instruction pour établir, avant tout procès, la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige. Dans cette requête, l’éditeur s’appuie également sur la loi sur la confiance dans l’économie numérique qui leur impose notamment de détenir et conserver « les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création de contenu ».
Pour le coup, le tribunal de grande instance de Paris n’a rien trouvé à redire : il a accordé son feu vert à cette requête, contraignant les FAI – du moins ceux qui accepteront – de fournir à la partie adverse les noms et adresses des abonnés correspondant aux adresses IP répertoriées.
Une procédure non contradictoire
Le code de procédure prévoit déjà un référé autonome et contradictoire (article L.336-1 du CPI) : lorsqu’un logiciel est principalement utilisé pour la mise à disposition illicite d’objets protégés par un droit d’auteur (film porno compris), la juridiction saisie peut ainsi ordonner sous astreinte toutes mesures nécessaires à la protection de ce droit et « conformes à l’état de l’art ». Pourquoi ce filet ? Tout simplement parce que des garanties doivent être apportées dans les techniques d’établissement de la preuve. Cette procédure est considérée comme mieux adaptée, pour obtenir l'identité des internautes de la part de toute partie s’estimant lésée par leurs agissements, que la procédure non contradictoire prévue par la loi LCEN du 21 juin 2004.
En résumé, si l'article 145 permet d’obtenir les coordonnées d'internautes pour ensuite par exemple réclamer dédommagement, le 336-1 permet au juge d’imposer des mesures propres à protéger les droits du titulaire. Différence de taille : seul le 336-1 est contradictoire et permet à un FAI de soulever l'éventuelle absence d'autorisation de la CNIL.
Quelle autorisation de la CNIL française ?
Cette affaire pourrait en effet soulever une nouvelle fois la question de la manipulation des données personnelles comme cela avait été le cas dans l’affaire Techland : la justice avait estimé que l’adresse IP étant une donnée personnelle, tout traitement de données personnelles doit être assorti de garanties essentielles pour la préservation des libertés individuelles ou publiques.
Quelles garanties ? C’est, au premier chef, la possibilité pour la CNIL d’intervenir pour autoriser ou vérifier les conditions de mise en œuvre de ces traitements de masse. La surveillance des échanges – licites ou non – par des moyens parfois considérables suppose en tout état de cause le contrôle préalable de la CNIL qui doit vérifier si ces petites cuisines faites avec les données personnelles ne malmènent pas les droits et libertés défendues par la loi de 1978.
Sauf erreur, ces éléments n’ont pas été mentionnés par l’ordonnance rendue par la justice. On ne sait à ce jour si une procédure similaire à été effectuée en Suisse auprès de la CNIL nationale, auquel cas un autre problème se pose : celui de la légalité de ces traitements autorisés hors de nos frontières. Nous menons actuellement une enquête pour déterminer l’exacte situation dans la présente affaire.
Attitude prudente de tous les FAI français
En attendant, comme le mentionnait le tribunal de grande instance de Paris dans l’affaire Techland, « cette législation et son respect s'imposent de toute manière aux fournisseurs d'accès qui, bien que tiers au litige, sont donc fondés à vouloir se protéger de tout reproche qui pourrait leur être fait à cet égard ». Les FAI, dans ces conditions, vont pouvoir et même devoir exiger avant toute transmission le respect des garanties de procédure (et notamment la prise en charge des coûts conformément au barème des réquisitions judiciaires) et de la législation sur les données personnelles. C’est seulement si toutes ces vérifications sont faites que la procédure pourra suivre son cours : l’envoi d’une lettre recommandée avec les données d’identification, le nom du film, etc.
Restera alors à chaque internaute le soin d’étudier le courrier envoyé par MagmaFilm et d’établir un plan d’action très serré avec leur (éventuel) conjoint.
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