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Le japonais Sony est-il en passe de regagner le leadership perdu au début des années 2000 ? A l'issue d'une bataille qui aura duré cinq ans, c'est son format d'enregistrement sur disque optique en haute définition ("HD"), le "Blu-ray", qui a remporté la victoire pour devenir le successeur du DVD. Le 19 février, Toshiba, supporter du format concurrent, le "HD-DVD", a annoncé qu'il jetait l'éponge après que les trois quarts des studios d'Hollywood, premiers distributeurs au monde de DVD, ont annoncé vouloir se rallier au Blu-ray.
La rumeur court que Sony aurait imposé son format à coup de centaines de millions de dollars versés aux studios. Une information rejetée par le groupe nippon. "Les studios n'ont pas choisi le Blu-ray pour des raisons techniques mais parce qu'un plus grand nombre d'industriels dont les groupes coréens Samsung et LG, puis Panasonic, Philips, Apple... avaient déjà rejoint Sony", selon Paul Donovan, du cabinet anglo-saxon Gartner. "Chacun des formats avait des qualités. Ce n'est pas ce qui a compté le plus. Après tout, il y a trente ans, les formats de cassette vidéo V2000 et Betamax (soutenu par Sony) étaient supérieurs en qualité au VHS, mais c'est ce dernier qui a gagné", rappelle Eric Surdej, directeur général de LG Electronics France.
Le fait que Sony ait choisi d'équiper la PS3, sa console de jeux de nouvelle génération, d'un lecteur de DVD Blu-ray a aussi pesé dans la bataille. Il s'en est écoulé 10 millions depuis son lancement, fin 2006. Dans le même temps, Toshiba n'aurait vendu qu'un million de lecteurs HD-DVD au niveau mondial.
Il y avait longtemps que Sony n'avait pas remporté un tel succès. Depuis la fin des années 1990, le géant japonais de l'électronique grand public, fondé en 1946 à Tokyo, accumulait les échecs. Il a pourtant été à l'origine de ruptures ou d'innovations majeures pendant trois décennies. Ses ingénieurs ont mis au point le Trinitron, une technologie révolutionnaire de tubes cathodiques pour la télévision, dans les années 1960. De ses laboratoires est aussi sorti le fameux baladeur Walkman dans les années 1970. Mais, au tournant du nouveau siècle, "le groupe a raté le virage du numérique", résume Gregory Olszowy, de la société de gestion IT Asset Management.
RESTRUCTURATION DRASTIQUE
Dans la télévision, pourtant un de ses principaux savoir-faire, Sony n'a pas mesuré l'énorme potentiel de développement des écrans plats, laissant au japonais Sharp (spécialiste des écrans basés sur la technologie LCD) et aux deux coréens Samsung et LG l'opportunité de s'imposer. Pour revenir dans la course et se doter de capacités de production, Sony a dû s'associer à Samsung (et tout récemment à Sharp).
Dans la photographie numérique, le géant nippon s'est fait distancer par Canon, dont les appareils (notamment les compacts de la gamme Ixus) faisaient un tabac. Sur le créneau de la musique, le constructeur informatique Apple, un nouveau venu du secteur, lui a infligé une véritable humiliation en réussissant à imposer son lecteur MP3 iPod. Enfin, Sony s'est vu contraint de trouver un partenaire (le suédois Ericsson) pour tenter d'enrayer les pertes de son activité de téléphonie mobile.
De tels échecs concernant le coeur de son métier (l'électronique grand public, représentant les deux tiers de son activité) ont été mis sur le compte de la rigidité des structures du groupe et de l'autoritarisme de son PDG - Nobuyuki Idei. Son successeur, l'Américain Howard Stringer, nommé au printemps 2005, a lancé un plan de restructuration drastique (10 000 suppressions d'emplois sur 150 000, dont 4 000 au Japon) destiné à relever les marges du groupe et à le recentrer sur l'électronique grand public. Sony abandonne alors ses chaînes de magasins, de restaurants, sa marque de cosmétiques ou sa division robots, d'où sortait le très médiatique - mais peu rentable - petit chien Aibo.
Ce plan triennal arrive à échéance fin mars 2008, à l'issue de l'exercice fiscal 2007-2008 de Sony. Le groupe a déjà déclaré, lors de la publication des résultats de son 3e trimestre, qu'il espérait atteindre une marge opérationnelle de 5 %, contre 2 % en 2005.
Côté téléviseurs, Sony a déjà bien remonté la pente. Les ventes de sa gamme Bravia ont dépassé celles des postes Samsung en Amérique du Nord fin 2007. Dans les appareils photos, il reste derrière Canon, mais s'est bien redressé grâce à son alliance avec Konica Minolta, marque mythique d'appareils reflex. Dans la téléphonie, son entreprise commune avec Ericsson a réussi à se hisser au 4e rang mondial, juste derrière l'américain Motorola. Quant à la console de jeux PS3, elle s'écoule moins vite que la Wii de Nintendo, mais fait mieux que la Xbox 360 de Microsoft, grâce, il est vrai, à de fortes baisses de prix consenties fin 2007.
La victoire du Blu-ray suffira-t-elle à redresser définitivement le conglomérat ? Sony, comme les autres supporters de ce format, peut espérer vendre davantage de lecteurs de DVD en haute définition, et se voir verser des royalties de la part des studios éditeurs. "Le fait qu'il n'y ait plus qu'un seul standard de DVD HD va desserrer les freins à l'achat. Cela va aussi permettre aux studios, notamment en France, d'accélérer leur politique de développement de films en HD", affirme Philippe Citroën, PDG de Sony France.
Pas sûr, pour autant, que la haute définition, présentée comme un des principaux relais de croissance de l'électronique grand public, décolle aussi vite qu'espéré. M. Surdej, chez LG, se montre prudent : "Le marché de la HD ne décollera qu'à condition que le prix des lecteurs baisse sous la barre des 300 euros l'unité." D'autant que "l'équipement des foyers en lecteurs DVD n'est toujours pas achevé", relève en outre Laurence Meyer, du cabinet anglo-saxon Jupiter Research. Il faudra aussi que l'offre de contenus HD - films sur DVD ou contenus pour la télévision - devienne rapidement plus abondante. Pour l'heure, ne sont disponibles en France que 250 à 300 DVD en HD. Ils devraient être 1 000 à fin 2008, espèrent les supporters du Blu-ray en France.
Certains notent par ailleurs que le format Blu-ray pourrait n'être que transitoire, le temps que le nouveau mode de distribution des films, des programmes de télévision et des vidéos sur Internet se popularise. Mais là, les experts sont plus dubitatifs. "C'est encore long de télécharger un film. Et les gens sont attachés au support physique du DVD", selon Paul Donovan, de Gartner. Pour l'institut américain spécialisé Understanding and Solutions, la durée de vie du Blu-ray sera de cinq ans. "Il coexistera avec d'autres formats, dont le DVD, pour un bon bout de temps", veut croire Arnaud Brunet, de l'association Blu-ray Partners France.
Source:
http://www.lemonde.fr