Institut pour la justice : hold-up à droite sur les victimes
Idéologie, méthodes, finances : enquête sur cette association opaque qui a recueilli 900 000 signatures en dix jours à son « Pacte 2012 pour la justice ».
« Apolitique » mais associé à l’UMP
Un marketing efficace, des défections de poids
Une expertise « un peu instable », des experts disparus
L’IPJ augmente son audience et intensifie son lobbying auprès des politiques en s’appuyant sur des faits-divers médiatisés. Et particulièrement les crimes les plus révoltants : ceux commis par des récidivistes.
Ainsi, le 17 mai, l’IPJ a envoyé un courrier à Nicolas Sarkozy, à la suite du meurtre de Laetitia Perrais. Parmi les signataires, l’acteur Roland Giraud ou la chanteuse Françoise Hardy. En réponse, l’IPJ a été reçu par le garde des Sceaux, Michel Mercier.
A chaque fois, un témoignage est mis en avant, une pétition est lancée, des milliers d’e-mails sont envoyés.
Xavier Bébin indique que son association a loué des fichiers d’adresses postales « comme ceux de La Redoute, la Croix-Rouge et les abonnés de Valeurs Actuelles ».En revanche,
il dément avoir obtenu le fichier d’e-mails du ministère de la Justice, comme le supposent plusieurs sources contactées pour cette enquête, étonnées de voir que de nombreux fonctionnaires et magistrats sont « spammés » par l’IPJ : « On aimerait bien l’avoir ! Peut-être que ces magistrats ont demandé à être informés de nos actions ? »
Une fois sur le site de l’IPJ, les internautes sont invités à donner de l’argent, entre 5 et 100 euros, ou un montant libre. « A partir de 10 euros, les gens deviennent membres donateurs de l’association, pour un an », indique Xavier Bébin. Il n’y a pas d’autre forme d’adhésion à l’IPJ.
Philippe Schmitt : « J’avais des doutes »
L’association doit le début de sa notoriété à Philippe Schmitt, le père d’Anne-Lorraine, une étudiante de 23 ans tuée de 34 coups de couteau en novembre 2007 dans le RER D par un récidiviste, Thierry Devé-Oglou. L’horreur de ce crime avait choqué la France entière.
L’été suivant, le général Schmitt devient président du comité de parrainage de l’IPJ. On trouvera aussi dans ce comité Cynthia Sardou, la fille du chanteur, victime d’un viol au début des années 2000, ou Sophie Leverrier, dont les deux parents ont été assassinés sous ses yeux en 1982, alors qu’elle avait 12 ans, par un récidiviste.
Aujourd’hui, Cynthia Sardou (que Rue89 n’a pas pu joindre) a quitté l’association « pour des raisons personnelles », selon Xavier Bébin, qui dit conserver « d’excellents rapports » avec elle.
Sophie Leverrier est aussi partie. On lui avait demandé de rédiger un témoignage, qui devait servir pour une campagne de mailing, mais elle avait refusé qu’il soit réécrit sans les nuances qu’elle apportait :
« Mon sentiment, c’est que l’IPJ se préoccupe moins des victimes que de la surface médiatique et de l’argent qu’elles peuvent rapporter. »Le général Schmitt, lui, a quitté l’association en mars 2010, pour des raisons similaires : « Je suis parti parce que j’avais des doutes sur le fait que l’argent soit bien utilisé, et parce que je réprouvais ces appels aux dons incessants. »
« On n’a jamais eu de réponse sur la destination des fonds », ajoute Sophie Leverrier.Menace de procès
Prévenu par Catherine Nemo que Rue89 allait l’interroger sur les finances de l’IPJ, Xavier Bébin a tenu à faire cette mise au point dès le début de l’entretien, avant toute question de notre part :
« Nos finances sont d’une transparence totale, nos comptes sont tenus par un comptable et visés par un commissaire aux comptes. Chaque membre donateur en reçoit une copie lors de nos assemblées générales.
Tout propos qui s’écarterait de cette idée-là fera l’objet d’un procès en diffamation. »
On peut constater dans le rapport annuel 2010 de l’association que les comptes sont visés par Deloitte, le leader mondial de l’audit, et que 97% des ressources proviennent des dons. Au total, 1 162 332 euros, « entièrement employés » selon Xavier Bébin.
L’existence du même rapport, pour l’année 2009, n’avait pas convaincu les deux démissionnaires.Bébin explique la défection et les critiques de Leverrier par un « conflit personnel » avec l’ex-présidente, Marie-Laure Jacquemond.
Quant à Schmitt, le délégué général a « fini par comprendre que ça lui posait problème qu’on recueille de l’argent pour un combat qui est le sien, le combat de sa vie. Il a un côté militaire, vieille droite catholique française, avec un rapport particulier à l’argent ».
http://www.rue89.com/2011/11/18/institu ... mes-226627
« Les conneries c’est comme les impôts, on finit toujours par les payer. »
Michel Audiard